Voici une jurisprudence atypique, qui peut amener à faire rêver ceux qui veulent de se débarrasser de leur dirigeant. Ou comment valider un moyen détourné de révoquer un mandataire social, au motif d’une décision légitime de modification de la gouvernance sociale 📜(Cass.com. 4 avril 2024, n°22-19.991).📜
Le dirigeant, habituellement protégé par les règles légales, peut être révoqué « ad nutum » c’est-à-dire à tout moment, mais les statuts peuvent prévoir des conditions, et surtout le dirigeant aura droit à une indemnisation si cette révocation a lieu sans juste motif
(article L.225-55 du Code de commerce dans les SA).💰
Le dirigeant révoqué doit, pour être indemnisé, démontrer que sa révocation n’est pas justifiée et contester le motif invoqué. C’est donc au dirigeant qu’appartient la charge de la preuve du motif illégitime…
Mais que se passe-t-il lorsque le dirigeant perd son mandat sans être officiellement révoqué ❓
Un directeur général perd son mandat social parce que le conseil d’administration décide de changer le mode de gouvernance et de rassembler dans les mains du Président du Conseil d’administration l’ensemble des pouvoirs de direction. Conséquence : plus de mandat pour le directeur général qui se trouve ainsi évincé de la direction.
Difficile de ne pas comprendre ce directeur général qui prend mal la décision du conseil d’administration qu’il entend bien faire qualifier de révocation sans juste motif pour être indemnisé de ses préjudices…
Mais ce tour de passe passe légal est validé par la Cour, puisqu’il s’agit d’une décision du Conseil d’administration de changer de mode de gouvernance, et non d’une décision de révocation de mandat. Le mandat a disparu ! comme par magie, le directeur général effacé de l’organigramme, peut rentrer chez lui.💼
Comme il n’y a pas de révocation, il n’y a pas de motif à justifier.
Donc peu importe que la décision du conseil d’administration soit ou non justifiée par la préservation de l’intérêt social, puisque ce n’est pas une révocation.
C’est au directeur général de prouver que la décision du Conseil d’administration, qui est parfaitement légale sur le papier, constitue une révocation détournée de son mandat. Preuve difficile à apporter… voire impossible !📃
La décision de la Cour est sévère pour le dirigeant : « ce dernier ne démontre pas que la suppression de son mandat de directeur général procède d’une volonté de l’évincer et s’analyserait ainsi en une révocation déguisée ».
Preuve que la gouvernance multiple est risquée ! Puisque vous n’avez pas à être remplacé ou révoqué, il suffit que l’on décide de modifier les règles pour que votre mandat devienne inutile et soit supprimé.
La décision est d’autant plus brutale que la Cour s’affranchit de l’examen du « motif légitime », considérant qu’il n’y a pas de révocation. Dans cette situation, la preuve de la « faute » commise par le Conseil d’administration qui consisterait dans un « abus » est difficile à rapporter puisque le Conseil d’administration peut toujours justifier sa décision de changement du mode de gouvernance par l’intérêt social : pourquoi payer deux dirigeants si un seul suffit ??
Le dirigeant évincé devra disposer d’éléments de preuve de la manœuvre, qui peut néanmoins être prouvée par tout moyen (ouf !). Encore faut-il qu’il ait la trace de discussions, de mails, ou d’enregistrements susceptibles de démontrer la mauvaise foi des membres du Conseil d’administration ! A moyen de révocation détourné, preuve déloyale autorisée !✖️
Rappelons que la Cour, qui semble ici plus exigeante sur la charge de la preuve, tend à assouplir les moyens de preuve, en validant désormais des enregistrements clandestins pris à l’insu de leurs auteurs 📜(Cass. Ass. Plén. 22 décembre 2023, n°20-20.648)📜. Si la décision s’appliquait pour un salarié, les dirigeants ont donc désormais, même pour eux, intérêt à tout enregistrer.
On ne sait jamais, ça peut servir…