Lors de son allocution du 16 mars dernier, le Président de la République a annoncé, au titre des mesures en faveur des entreprises, la « suspension des factures d’eau, de gaz, d’électricité, ainsi que des loyers ».  Qu’en est-il réellement s’agissant du paiement de vos loyers commerciaux ? Pouvez-vous totalement vous exonérer du paiement de ceux-ci ? Quelles solutions pouvez-vous essayer de mettre en œuvre afin de négocier avec votre bailleur ou votre locataire ? 

 

1. Les mesures de soutien apportées par le Gouvernement 

 Au jour de la publication de cet article, aucune mesure coercitive n’a été promulguée par le Gouvernement, de sorte qu’aucun bailleur privé n’est à ce stade obligé d’accepter une « suspension des loyers », selon les termes de notre Président.  Cependant, plusieurs ordonnances sont venues mettre en place un régime protecteur permettant de « figer » la situation, en suspendant notamment toutes les sanctions qui pourraient être encourues en cas de non-paiement des loyers commerciaux. 

 Ainsi, selon une Ordonnance n°2020-316, les personnes bénéficiaires du fonds de solidarité ne pourront « encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du Code de commerce.» 

Avec ce dispositif, le Gouvernement a souhaité neutraliser les effets du non-paiement des loyers commerciaux durant l’épidémie, et jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Cependant, il ne fait aucun doute que les loyers dus au bailleur devront être payés un jour ou l’autre, l’Ordonnance ne venant que retarder l’échéance … 

 Il convient de préciser que ce dispositif ne s’applique qu’aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le Gouvernement, et ne pourra être utilisé que par les bénéficiaires du fonds de solidarité. 

 Selon l’Ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, ce fonds de solidarité aura pour objet le versement d’aides financières « aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation. » 

 Pour le moment, les critères d’éligibilité au fonds de solidarité ne sont pas encore clairement définis, un décret devant être pris dans les prochains jours pour apporter des précisions. 

 Au regard des déclarations du Ministre de l’Economie, il semblerait que ce fonds de solidarité ne concerne que les entreprises ou travailleurs indépendants de moins de 10 salariés, réalisant un chiffre d’affaires d’un million d’euros au maximum et ayant fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou ayant subi une perte d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires par rapport à mars 2019, et d’au moins 50% de leur chiffre d’affaires par rapport à avril 2019. 

 Pour résumer, les ordonnances prises par le Gouvernement n’imposent pas la suspension du paiement des loyers commerciaux. Rien n’autorise les locataires à ne plus payer leurs loyers ! 

 En revanche, les mesures ordonnées permettent de neutraliser tous les effets attachés au non-paiement des loyers, et ce jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. A titre d’exemple, un bailleur ne pourra pas obtenir l’éviction de son locataire au motif qu’il n’aurait pas payé ses loyers. Cependant, le locataire ne pourra pas s’exonérer indéfiniment du paiement des loyers qui sont dus à son bailleur. C’est pourquoi il convient de mettre en œuvre immédiatement des mesures juridiques permettant de faire face à vos difficultés de paiement. 

 

 

2. Les solutions juridiques pour faire face aux difficultés de paiement 

 Certains professionnels du droit considèrent que les locataires pourraient faire état de la notion de force majeure pour justifier la suspension du paiement de leurs loyers. Ils estiment en effet que les bailleurs ne seraient plus en mesure de satisfaire à leur obligation de délivrance en raison d’un évènement de force majeure qui aurait pour effet de suspendre l’exécution des baux commerciaux. 

 L’entrée en vigueur de l’arrêté ayant interdit l’ouverture d’un certain nombre d’établissements rendrait inexploitables les locaux commerciaux en question, en raison de leur destination définie aux termes du bail, de telle sorte que les bailleurs manqueraient à leur obligation de délivrance.  En conséquence, les locataires pourraient faire valoir le principe d’exception d’inexécution, à savoir le principe selon lequel une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas et que les conséquences de l’inexécution sont suffisamment graves pour elle.  

 A notre sens, cette argumentation est défendable, mais rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle vous permette d’obtenir gain de cause, dans la mesure où :  

  •  une telle argumentation ne concernerait, à notre sens, que les commerces visés par l’obligation de fermeture et dont le bail ne permettrait pas d’exercer une activité autorisée (vente à emporter par exemple en ce qui concerne la restauration) ; 
  • certaines clauses contractuelles peuvent aménager ce type de circonstances ; 
  • le bailleur pourrait quant à lui arguer de ce qu’il respecte son obligation de délivrance dès lors que le locataire conserve dans ses locaux l’ensemble de ses affaires, matériels et stocks.  

 Les tribunaux apprécieront si la notion de force majeure est applicable, au cas par cas. 

 En revanche, il nous semble qu’il serait possible de négocier une diminution de loyer sur le fondement de l’imprévision.  L’article 1195 du Code civil dispose en effet : 

 « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. 

 En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » 

 Autrement dit, cette disposition permet à une partie qui subit un changement de circonstances imprévisible, ce que constitue nécessairement une épidémie et la fermeture imposée par l’Etat de son fonds de commerce, et entraînant une exécution excessivement onéreuse, de renégocier amiablement ses contrats. A défaut d’accord, cet article prévoit qu’il sera possible de demander au juge de procéder lui-même à la renégociation du contrat, voire à sa résolution. 

 

Cette notion nous parait applicable en matière de bail commercial et pourrait donc vous permettre d’entamer une renégociation des loyers avec votre bailleur. Vous souhaitez avoir l’avis d’un professionnel sur vos difficultés financières et aimeriez entamer une négociation auprès de votre cocontractant ? Contactez-nous ! 

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